Recréer des coopérations pour contrer les fragilités ressenties pendant la crise sanitaire

Article écrit à partir des propos d'Emilie Mazeas et Guillaume Hardy, accompagnateurs à l'espace associatif de Quimper, recueillis lors de la table ronde "Coopérer pour innover" organisée en décembre 2020 par le RNMA dans le cadre de ses rencontres nationales sur le thème "Analyser l’impact de la crise sanitaire sur le monde associatif, les associations locales, et le métier des MDA". Consulter sur cet article les enseignements de cette table ronde


Dès le premier confinement, nous nous sommes retrouvés comme tout le monde dans cette sidération qui nous a un peu inhibés. Pendant cette période, nous avons reçu pas mal de retours sur ce que ressentaient et exprimaient les associations. Ces sollicitations nous sont arrivés disant « on a besoin de se parler ». Le besoin était simplement exprimé à ce niveau : échanger sur nos expériences, en tirer des leçons et pouvoir évoluer. Entre peur financière, question sur comment faisaient les autres, interrogations sur l’avenir, envie de faire du lobbying… les associations étaient seules et en souffrance ; on était d’ailleurs nous-même concernés par ce sentiment. Aussi le fait de pouvoir exister localement en réseau était vraiment une demande importante. Une  contradiction apparaissait : alors qu’on agit pour la solidarité, pourquoi a-t-on tant de mal à faire solidarité entre nous, à l’intérieur de nos structures, entre structures et avec le territoire ? Cela nous interrogeait dans nos fondements même. On a voulu faire un état des lieux pour voir si ces ressentis étaient fondés, on avait le sentiment que sur notre territoire peu de choses se faisaient autour de la coopération. On a donc profité de cet évènement exceptionnel pour se réinterroger ensemble. 

Proposer une méthode pour avancer

En tant qu’accompagnateur à l’espace associatif, nous avons proposé un cycle de 3 réunions, auxquelles ont participé 14 associations et dont le principe était le suivant : prendre le temps de se parler, on verra bien ce qui en sort ! Il nous fallait nous extraire avec les associations des choses très concrètes du quotidien, regarder ce qui nous avait tous manqué et commencer à intellectualiser les choses. La première étape était celle de l’expression : poser les faits, ce qui a été vécu, ouvrir la porte à du déballage de situations concrètes insatisfaisantes. Suite à cette réunion, entre animateurs, nous avons tenté une analyse pour voir apparaitre où étaient les contradictions et ce qui faisait vraiment problème, par quel bout attraper les problématiques. La deuxième réunion avec les associations a interrogé le « pourquoi » : d’où viennent ces problèmes ? Est-ce une question technique, de volonté politique, un problème de sous ? Puis lors de la troisième, une fois qu’on avait posé les faits, regardé et analysé le problème, l’enjeu était d’en tirer des conclusions, de les assumer et d’agir. Il y avait une attente importante des associations sur un soutien, un enclenchement de quelque chose par l’espace associatif. On a dû aussi réfléchir sur ce qu’on était capable de faire avec nos moyens.


Inventer une posture d’accompagnement collectif à l’anti-fragilité

D’entrée de jeu, sachant que nous avons tous vécu la même chose et que finalement nous allions tous découvrir ensemble, il était hors de question d’être en posture de conseil selon la logique de « ceux qui savent vont affranchir ce qui ne savent pas ». Il fallait alors « trouvailler », entre trouver et travailler avec les associations. En se mettant au même niveau on a mis à jour une nouvelle façon de bosser en terme de positionnement. On est passés d’accompagnement à compagnonnage avec les structures : on apprend de leurs expériences autant que n’importe qui. Il nous fallait se positionner sur le devoir se renforcer, d’apprendre des chocs et de l’imprévu. Il s’agissait alors d’accompagner cette résilience au niveau de notre territoire. Nous avons alors convoqué le concept d’anti fragilité que voici illustré : « le peuplier est fragile et il casse sous un gros coup de vent. Le chêne est robuste, il ne cassera pas mais si c’est la tempête il peut se retrouver par terre, déraciné. Entre les deux, il y a l’anti-fragilité du tamarin des Hauts : il se couche et continue à pousser couché. Il se renforce par les chocs, les imprévus, les aléas. »

 

Les situations insatisfaisantes identifiées

Les ressentis que nous pouvons extraire suite à l’écoute des paroles des associations sont de divers ordres. D’abord des choses extrêmement humaines avec cette intrusion un peu violente liée au mélange entre vie privée, publique, professionnelle, bénévole… toutes les frontières se sont complètement floutées. Le télétravail a fait apparaitre du stress et de la somatisation. Sont alors apparus énormément de problèmes de lien entre salariés, entre CA et salariés, entre CA et adhérents. Beaucoup d’éléments sont aussi ressortis de l’ordre du sentiment d’isolement : les associations ne sont pas souvent dans des réseaux, ou s’il en existe ils sont très informels, avec un souci de formalisme et d’efficience pas forcément assurés. Le besoin est venu de créer du lien autour de projets communs avec plusieurs craintes exprimées, dont la peur de se retrouver embarqués dans des choses qui nous dépassent et de se faire « absorber ». Parfois un sentiment d’impuissance également : « on n’a pas le temps ni les ressources ». Coopérer c’est prendre du temps, avoir du temps de travail disponible. Un sentiment d’inutilité aussi : comme on va avoir des aides, on n’a pas besoin d’être solidaires de ce point de vue. Finalement on fonctionne un peu comme des entreprises pour beaucoup, d’ailleurs on sait bien qu’on va déjà sur le marchand car il y a de moins en moins d’argent public. Peut-on inverser cette tendance ? Au final, même si on a envie de solidarité, est-ce que ça va vraiment solutionner des choses ? Il apparaissait alors cette contradiction : dire qu’il fallait coopérer sans trop savoir ce qu’on voulait faire. Pour autant, le fait d’avoir clairement nommé ces incertitudes et ces insatisfactions nous donnait une capacité à agir en conscience.
 

Principales perspectives pour l'initiative (actions à mener, parties prenantes...)

Les suites qui se dessinent

La question de la solidarité et de la coopération a été replacée non pas comme une fin en soi mais comme une manière de travailler et de faire. On a dessiné un projet commun à réaliser sur un mode coopératif, qui se positionne sur deux aspects.  Sur des aspects socio-économiques d’abord. Est apparu le besoin de s’outiller avec des compétences sur des dossiers pour accéder aux aides, notamment sur des plans de trésorerie puisque pleins de structures avaient un hiatus à cet endroit.  Aussi on a ressenti un réel besoin de rencontres en dehors des périodes de confinement, entre pairs (directions, présidents) sur des sujets précis. Comment remobiliser ses bénévoles, mobiliser pour son AG ? Pour répondre à la pratique d’organisation descendante qui n’a pas vraiment fonctionné dans diverses structures, nous allons proposer des temps réguliers en invitant des gens qui fonctionnent en collégiale, pour qu’ils racontent comment ça marche et en quoi cela a évité des écueils dans la période de confinement. Nous avons aussi proposé une plateforme d’échange numérique mais l’idée n’a pas pris, il y a déjà tellement de choses qui existent et tout le monde est déjà tellement sur l’ordinateur !

Le deuxième aspect se situait au niveau de l’existence dans les politiques locales et sur l’espace public de manière collective sur la Cornouaille : « habituellement nous sommes regardés comme une charge pour la société, les associations coûtent cher ! Et dès que les choses partent en vrille on nous dit que les associations sont supers, on parle de nous dans les journaux ». Cette question est encore en travail et va être portée à l’endroit du conseil d’administration ou de la direction de l’espace associatif.

Tous ces enjeux ont été identifiés et validés par les groupes comme importants à mettre en œuvre, et renvoient désormais d’autres questions à l’espace associatif sur sa position de tête de réseau locale: en quelle mesure devons-nous porter toutes ces actions ? Doit-on craquer nous-même l’allumette ou simplement souffler sur les braises ? Se pose la question du leadership, il faut bien mettre du charbon dans la machine : inviter les associations, préparer des ODJ, des CR… tout cette mécanique est indispensable à l’initiative. Beaucoup de participants attendaient énormément de l’espace associatif tout en demandant qu’il y ait de la solidarité faite aussi entre eux. Voilà où nous en sommes à ce jour, nous continuerons à apprendre en avançant dans les prochaines semaines.

Catégories
Co-construction et développement local

Typologies
Cas pratiques & témoignages

Maisons
Espace Associatif Quimper Cornouaille

Date de publication
10/12/2020

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