L'expérience du Havre pour développer l'engagement

Cet article a été écrit à partir d el'intervention d'Alice Herbert, Chef de service Vie associative à la Ville du Havre, lors des Rencontres nationales du RNMA en novembre 2019.  Cliquez icipour voir les actes complets de ces Rencontres.

Le service Vie associative est un tout petit service composé de 3 personnes, bientôt 4. J’ai intégré le volet Jeunesse depuis quelques mois, donc j’ai multiplié par 10 ma masse salariale, mais je suis un peu moins engagée dans la cause Vie associative, il y a des passerelles à faire entre la Jeunesse et l’engagement, j’y reviendrai tout à l’heure. Notre service est rattaché à la direction des Sports : c’est à la fois facilitant et handicapant. Nous héritons d’un système séculaire qui se retrouve dans beaucoup de collectivités : chaque direction, chaque service, chaque département traite avec ses propres associations subventionnées. Chaque échelon a l’impression de connaître son tissu associatif sectoriel, parce qu’il le subventionne. Bien évidemment, une partie seulement est subventionnée et la situation est compliquée pour les autres.

Notre service a été créé en 2012, nous avons de grandes ambitions, même si nous sommes très peu nombreuses (nous ne sommes que des femmes). Je suis arrivée dans ce service en 2015, l’engagement se trouvait dans l’ADN du service, mais de façon marginale : il s’agissait d’organiser une fois par an des rencontres bénévoles à l’occasion du 5 décembre. Je mets à part tout ce qui a déjà été évoqué et que nous faisons : formation, information et autres. Nous avons accru notre travail sur l’engagement en 2017, à l’occasion des 500 ans de la ville du Havre. De gros événements culturels ont nécessité un apport conséquent de bénévoles. Notre tout petit service a été chargé de mobiliser, coordonner et gérer sur site les centaines de bénévoles dont l’action était nécessaire pour la bonne réalisation des événements. C’était un gros défi et une collègue nous a rejointes, au départ uniquement pour ce volet. Cela nous a permis de constituer un vivier municipal de bénévoles qui à ce jour existe toujours et compte près de 500 personnes. Nous les mobilisons sur des événements sportifs et culturels. C’est déjà une forme d’engagement de ces personnes. Il est intéressant de voir leurs profils, car tout le spectre de la société s’y retrouve.

L’arrivée d’une troisième personne dans le service a joué, mais aussi l’arrivée d’une nouvelle directrice adjointe, très investie personnellement dans la cause de la vie associative ; cela s’est ressenti dans ce qu’elle souhaitait porter. Notre directrice nous a demandé d’ouvrir le monde du bénévolat, de l’engagement aux bénéficiaires du RSA géré par notre Centre communal d’action sociale (CCAS dont le portefeuille contient 1 800 bénéficiaires). Cela n’était pas conditionné au versement de l’allocation, il s’agissait de travailler l’insertion sociale, voire professionnelle, des bénéficiaires du RSA. Nous avons commencé à travailler d’une part avec des conseillers en insertion, sur la façon dont il était possible d’amener ces personnes vers le bénévolat, d’autre part avec un réseau d’associations partenaires (RAP). Nous n’avons pas fait un appel à toutes les associations sur le thème : « Vous avez besoin de bénévoles, venez vers nous, nous possédons un vivier ». Nous avons coopté certaines associations, car nous souhaitions leur faire remplir une fiche de missions. Nous avons travaillé avec ces associations sur la détermination de leurs besoins, puisque nous ne pouvions pas envoyer n’importe qui, n’importe où, pour faire n’importe quoi. Nous souhaitions travailler le parcours du bénévole en fonction de son profil. Déjà à ce niveau, lorsque l’on demande aux associations combien de bénévoles seraient nécessaires et pour faire quoi, c’est souvent compliqué. La définition des besoins nécessite un travail pédagogique : les 3/4 des associations ne savent pas ce qu’est une convention de bénévolat.

Ce dispositif a fait des petits, car en étant provocatrice, nous avons un peu remplacé France Bénévolat qui n’est pas représentée au Havre. Plusieurs opérateurs sont venus vers nous :

• Sciences-po par son antenne du Havre qui inclut dans son cursus le parcours civique ; cette école souhaitait que l’on aide ses étudiants (tous asiatiques et anglophones) à aller vers l’engagement ;

• la Mission locale, un partenariat d’intervention a été développé depuis plus d’une année, soit dans le cadre de la Garantie Jeune, soit en montant des collectifs qui viennent voir comment fonctionnent des associations ou comment se montent des événements ;

• ADOMA (service social classifié) avec lequel le partenariat a été officialisé cette année, nous adresse beaucoup de personnes avec des problématiques spécifiques d’accompagnement, de langue, etc.

Nous avons développé des partenariats avec diverses structures qui nous orientent. Nous sommes seulement une interface. Nous essayons d’adapter le besoin à la demande, même si cette expression n’est pas très agréable. En fonction du profil de la personne, que ce soit un Coréen ne parlant qu’anglais ou un Russe ne parlant que le russe, nous essayons d’adapter au mieux les offres de bénévolat.

Un nouveau dispositif vient d’émerger, le Maire a souhaité que nous développions un axe appelé « éducation populaire ». Il souhaitait que nous travaillions sur l’engagement des jeunes. Le nouveau dispositif s’appelle « Pop-Up », il est dédié spécifiquement à l’accompagnement des jeunes vers l’engagement au sens très, très large. Il ne s’agit pas seulement de bénévolat associatif. Ce dispositif a 2 axes. Le fait que je travaille dans le domaine « Jeunesse » a permis de créer des passerelles.

Nous souhaitons accueillir au tout-venant les jeunes qui se présentent, qui souhaitent s’engager, tout en faisant la promotion de l’engagement auprès de partenaires. Trois fois par an, nous organisons des semaines sur des causes définies en co-construction avec les jeunes. La première semaine a eu lieu à l’occasion de la Transat Jacques Fabre, nous avons travaillé avec Plastic Odyssey, association marseillaise qui transforme des déchets plastiques en ressources. Un collectif de 15 lycéens a effectué un chantier pendant une semaine, puis ils ont présenté devant un public

important les résultats lors de la Transat Jacques Fabre. C’était assez drôle, car ils ont invectivé les adjoints au maire… Nous souhaitons faire émerger des projets. Le premier venait de jeunes issus d’un lycée, maintenant ils veulent faire du zéro déchet dans leur lycée et organiser un challenge zéro déchet inter-lycées. Pop Up accompagnera dans l’émergence de projets issus d’expériences collectives. »



Questions-réponses avec la salle

« Il s’agit d’actions mises en place dans le cadre de politiques publiques, y a-t-il des outils permettant de suivre l’activité, éventuellement de l’évaluer ? Ces actions sont- elles évaluées, les bénéficiaires des actions sont-ils impliqués, proposent-ils des retours sur ce qui leur a été proposé ? »


Alice Hebert, Chef de service vie associative à la Ville du Havre

« Les jeunes veulent beaucoup de feed-back. Je distinguerai les actions menées auprès du RAP et de Pop-Up. La direction Sport, Jeunesse et Vie associative a depuis 2 ans un logiciel, un outil spécifique appelé « Visuel planning ». Il permet d’évaluer toutes les actions menées dans le cadre de notre direction, cela dépasse ce que nous y intégrons. J’aime bien observer, et en ce qui concerne le RAP, avec ma collègue, nous avons mis en place des outils d’évaluation sur le parcours des individus, des personnes, des usagers qui viennent nous voir par eux-mêmes ou par le biais de partenaires.

L’écueil est que nous savons combien de personnes nous orientons, combien nos partenaires orientent de personnes, vers qui, vers quelle association et pourquoi. Mais les associations vers lesquelles nous orientons ne jouent pas le jeu et nous n’avons eu aucun retour. C’est très frustrant, parce que nous ne pouvons pas savoir combien de personnes sont réellement impliquées au sein de l’association. En revanche, nous avons des retours négatifs, bien que nous précisions que les personnes orientées ne sont pas « labellisées Ville du Havre », nous ne contrôlons pas leur casier judiciaire, leur taux d’alcoolémie, etc. Pour les bénévoles, il en est de même : ils nous font savoir lorsqu’ils sont mal accueillis, et malheureusement c’est assez fréquent. Certaines associations n’ont pas voulu intégrer le réseau parce que nous orientions des publics particuliers. »

Est-il possible d’avoir plus de détails concernant la mise en place du dispositif Pop Up ? Quels sont les obstacles repérés ? Y a-t-il des points de blocage ? Grâce à quels moyens le projet a-t-il pu transcender les problèmes d’organisation ?


Alice Hebert, Chef de service vie associative à la Ville du Havre

« Pop Up m’a fait découvrir un vrai portage politique. C’est là qu’est le Sésame : le maire veut, le maire obtient. Donc, il n’y a pas eu beaucoup d’obstacles. Il y a eu un chargé de mission catégorie A en un mois, un logo et un nom, et même un compte Instagram que nous avons le droit de gérer nous-mêmes ! La mise en œuvre du dispositif n’a rencontré aucun obstacle, d’autant plus que la ville s’est offert l’accompagnement pour tout ce qui touche à l’éducation populaire d’une start-up marseillaise « Marseille Solutions ». Nous avons eu les moyens nécessaires.

La co-construction avec les jeunes n’a pas eu lieu, car nous n’avions pas le temps entre septembre et mi-octobre, date de la Transat Jacques Fabre. Nous allons travailler sur la constitution d’un réseau d’influenceurs dans lequel nous avons déjà des jeunes pour nous aider à coconstruire. »


« Le partenariat avec France Bénévolat a été inexistant ou faible ? Cette action aurait-elle pu être un levier pour essayer de renforcer ce partenariat avec France Bénévolat ? Ou a-t-elle confirmé l’écart entre les points de vue ? »

Alice Hebert, Chef de service vie associative à la Ville du Havre

« Ils orientent des personnes pour que nous leur trouvions du bénévolat. Je suis arrivée en 2015. Nous avons développé le dispositif en 2018. Pendant 3 ans, j’ai essayé de travailler avec France Bénévolat que nous subventionnons. Ils n’avaient pas de locaux, nous avons essayé de trouver des solutions. Bien qu’anecdotique, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase est apparue lorsque nous avons reçu des personnes souhaitant être bénévoles et orientées par France Bénévolat. Il nous demandait de faire leur travail !

Depuis, la présidence de France Bénévolat a changé. Ils ont toujours été assez présents dans ce que nous développons par ailleurs sur le Café des associations, etc. Nous sommes en lien avec eux, mais nous avons l’impression d’avoir rempli un vide. Mon oncle a travaillé chez ADOMA pendant 30 ans, il me disait qu’au Havre, lorsqu’il travaillait, seuls les évangélistes acceptaient de recevoir les résidents ADOMA. Il s’était tourné entre autres vers France Bénévolat, mais l’équipe bénévole du Havre n’était pas capable d’accompagner ou de prendre le temps d’accompagner ce public « éloigné ». »

Catégories
Accompagnement

Typologies
Cas pratiques & témoignages

Maisons
Service Jeunesse Vie Associative - Ville du Havre


Date de publication
30/11/2019

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